En octobre 2024, je me suis rendu à Tuktoyaktuk où “Tuk”, un village Inuvialuit situé au-delà du cercle polaire dans les Territoires du Nord-Ouest au Canada et qui borde l’océan Arctique. Le village est bâti sur une terre faite de toundra, où aucun arbre ne pousse, où les reliefs sont quasiment inexistants hormis quelques pingos (colline de glace), en hiver la nuit s’étire pendant plus d’un mois et demi et il n’est pas rare que les températures descendent sous les -50°C. J’y ai rencontré des personnes marquées par le froid et l’histoire, fiers de leur village et de cette nature qu’ils connaissent mieux que quiconque.
J’ai photographié ces gens et leurs habitations, la toundra, l’océan qui tarde à devenir banquise, le permafrost qui fond et dont l'érosion provoque l’inéluctable disparition du territoire. La mer monte et l’été s'allonge alors d’ici 20 à 30 ans, Tuktoyaktuk tel que nous le connaissons aujourd’hui n'existera plus et les terres où reposent les maisons seront submergées. J’ai photographié un lieu qui ne pourra bientôt plus l’être.
Tuktoyaktuk n’est pas un symbole, c’est la réalité. Ses habitants vont certainement devenir les premiers réfugiés climatiques du Canada et plusieurs maisons ont déjà été déplacées.
La beauté n’y est pas forcément visible au premier coup d'œil, il faut patienter, discuter et écouter. Alors la poésie naît, elle surgit d’un mur tapissé de photo, de cette boue argentée qui coule le long des falaises, de Wayne qui regarde au travers de ces jumelles ou encore de cette toundra aux reflets dorés qui ondule sous le souffle polaire.
Le temps change de dimension la haut, comme souvent dans ces endroits reculés, il revêt un costume plus sobre, plus respecté, personne ne le bouscule, personne n’essaye de le contracter ou de l’utiliser au maximum. Il fait partie intégrante de la vie, on le regarde passer à travers les fenêtres des maisons ou par la vitre de sa voiture. La bas, plus qu’ailleurs, le temps est long d’une longueur que l’on ne soupçonnerait pas, d’une longueur que l’on regrette sitôt que l’on remonte dans l’avion pour quitter le village.
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In October 2024, I traveled to Tuktoyaktuk, or “Tuk,” an Inuvialuit village located beyond the Arctic Circle in Canada’s Northwest Territories, on the edge of the Arctic Ocean. The village is built on tundra, a land where no trees grow, and the terrain is almost entirely flat except for a few pingos (ice hills). In winter, the night stretches on for over a month and a half, and temperatures often drop below -50°C. There, I met people shaped by the cold and by history, proud of their village and the nature they understand better than anyone else.
I photographed these people and their homes, the tundra, the ocean that hesitates to turn into pack ice, the thawing permafrost, and the erosion that foretells the inevitable disappearance of the land. The sea is rising, and summers are growing longer, meaning that in 20 to 30 years, Tuktoyaktuk as we know it today will no longer exist, and the land where homes now stand will be submerged. I photographed a place that will soon no longer be.
Tuktoyaktuk is not a symbol—it is reality. Its inhabitants are likely to become Canada’s first climate refugees, and several homes have already been relocated.
The beauty of Tuktoyaktuk is not always immediately apparent. It requires patience, conversation, and listening. Then, poetry emerges—springing from a wall covered in photos, the silvery mud flowing down cliffs, Wayne gazing through binoculars, or the golden hues of the tundra rippling under the polar wind.
Time changes dimensions up there. As in many remote places, it takes on a quieter, more respected presence. No one rushes it; no one tries to compress or maximize it. Time is an intrinsic part of life, observed through the windows of houses or the windshield of a car. There, more than anywhere else, time stretches to a length one wouldn’t expect—a length that is sorely missed the moment you board the plane to leave the village.